Monaco, News 30 juin 2025

Une décision délicate : L’ex-Président Didier Linotte mis en examen pour corruption

by Jean Cousin

Une décision délicate a été mise en œuvre mercredi par l’inculpation de Didier Linotte, ancien président du Tribunal suprême de Monaco, pour corruption, trafic d’influencer et blanchiment.

Une mise en examen qui s’inscrit dans une vaste enquête ouverte depuis 2023, afin d’approcher au plus près le maillage des intérêts au sein de l’État monégasque.

« L’ancien président du Tribunal suprême de Monaco, Didier Linotte, a été mis en examen mercredi pour corruption, trafic d’influence et blanchiment » a annoncé le procureur général de la Principauté dans un communiqué. Cette inculpation intervient dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en juillet 2023, et qui regroupe plusieurs procédures dont une enquête préliminaire lancée en novembre 2021.

Des questions sur la transparence financière

La mise en examen de Didier Linotte fait suite à des révélations concernant sa situation financière personnelle. Selon des documents révélés au cours de l’enquête, l’ancien magistrat aurait perçu près de 250 000 euros sur trente mois entre juin 2013 et octobre 2015 de la part de la société suisse Devacco SA, alors qu’il exerçait ses fonctions de président du Tribunal suprême. Ces revenus complémentaires, présentés comme des honoraires de consultant, soulèvent des interrogations sur d’éventuels conflits d’intérêts dans l’exercice de ses fonctions judiciaires.

Cette situation particulière avait déjà fait l’objet de questionnements sur la compatibilité entre les fonctions exercées et des activités parallèles, dans un contexte où la transparence financière des hauts magistrats fait l’objet d’une attention croissante dans les institutions européennes.

Une enquête internationale aux multiples ramifications

L’information judiciaire, ouverte par réquisitoire introductif du 13 juillet 2023, trouve ses origines dans plusieurs sources : une enquête préliminaire monégasque de novembre 2021, des éléments recueillis à l’étranger et une dénonciation du parquet national financier français. Les faits visés remontent à 2016 pour la plupart des infractions, voire même à 2008 pour le blanchiment.

Depuis l’ouverture de cette information, les juges d’instruction et la direction de la sûreté publique ont mené de multiples investigations, perquisitions et expertises. Plusieurs demandes d’entraide pénale internationale ont été adressées, dont certaines sont encore en cours, et témoignent de la dimension transfrontalière de l’affaire.

L’enquête a pris une nouvelle ampleur en juin dernier : par un réquisitoire supplétif du 17 juin, le parquet général a élargi les poursuites aux qualifications criminelles de trafic d’influence actif et passif en bande organisée, prise illégale d’intérêt en bande organisée, et corruption active et passive en bande organisée.

Sept auditions et un contrôle judiciaire strict

C’est dans ce contexte que Didier Linotte a été placé en garde à vue le 23 juin par la division de police judiciaire de la sûreté publique, sous l’autorité des juges d’instruction. Après sept auditions nécessitant deux prolongations de garde à vue, l’ancien magistrat a été présenté aux juges et formellement mis en examen.

Les chefs d’inculpation retenus contre lui sont : prise illégale d’intérêt en bande organisée, corruption passive par un agent public national en bande organisée, trafic d’influence passif en bande organisée et blanchiment du produit d’une infraction. La période des faits s’étend du 25 novembre 2011 au 13 juillet 2023, couvrant ainsi une large partie de son mandat à la tête de la plus haute juridiction monégasque.

Didier Linotte « n’a pas souhaité s’expliquer pour le moment », précise le communiqué du procureur. Invoquant « la gravité des faits » et les risques de pression sur les témoins, de concertation frauduleuse ou de fuite, le parquet général avait requis son placement en détention provisoire. Les juges d’instruction ont cependant opté pour un contrôle judiciaire assorti d’une interdiction de quitter la Principauté et de rencontrer plus de vingt-cinq personnes nommément désignées.

Un parcours judiciaire prestigieux écorné

Didier Linotte, aujourd’hui âgé de 77 ans, était une figure respectée du système judiciaire monégasque. Nommé président du Tribunal suprême le 19 juillet 2012 par le prince Albert II, il avait dirigé cette institution pendant plus d’une décennie avant d’être révoqué par le souverain.

Ancien recteur de l’académie de Nice, ce juriste de formation figurait encore en 2020 parmi les cent personnalités incarnant les « forces vives » de Monaco selon L’Observateur de Monaco. Sa mise en examen constitue un séisme pour les institutions judiciaires de la Principauté.

L’ombre des « Dossiers du Rocher »

Bien que le communiqué du procureur ne l’évoque pas explicitement, cette affaire s’inscrit dans le contexte plus large du scandale des « Dossiers du Rocher ». Ce site internet anonyme, apparu en octobre 2021, a divulgué de nombreux documents confidentiels mettant en cause plusieurs personnalités proches du pouvoir monégasque dans des affaires mêlant argent, immobilier et influences.

L’affaire avait déjà provoqué des remous internationaux, le Conseil de l’Europe réclamant en novembre 2024 des mesures d’intégrité au prince Albert II lui-même.

L’intéressé, qui conteste les faits qui lui sont reprochés, « reste présumé innocent », rappelle le procureur général. L’instruction se poursuit, et les ramifications de cette enquête aux dimensions internationales pourraient encore s’étendre. Plusieurs demandes d’entraide pénale demeurant en cours d’exécution.

Cette affaire illustre les tensions qui traversent les institutions monégasques, et soulève des questions sur l’intégrité du système de gouvernance de la Principauté.