Culture, Monaco, News 7 juin 2024

Tribune Daniel Boeri : Les Jeux Olympiques sont une fête, une ouverture au monde dans sa diversité et sa complexité

by Daniel Boeri

Les Jeux Olympiques sont une fête, une ouverture au monde dans sa diversité et sa complexité. Un évènement sportif global qui, bien au-delà du sport efface, pour un moment, les difficultés du monde. Je revois avec nostalgie les Jeux de Rome en 1960.

Plus d’un demi-siècle après, tout est bouleversé ; le public peine à s’y joindre et certains même de crier « Arrêtez le JO bashing !».

Soudain à Paris, mais cela existe parfois ailleurs, quelques professions monopolistes profitent de l’engouement supposé des Jeux pour revendiquer. Les éboueurs, les contrôleurs aériens, les cheminots… posent un préavis de grève pour l’obtention de primes exceptionnelles.  Une tradition bien connue des experts en ressource humaines, « toujours plus …  mais le monde change !»

L’exemple des cheminots illustre cette situation vis-à-vis du reste du monde. Ils obtiennent une prime exceptionnelle de 1 900 € pour la période des Jeux. C’est vrai, on pourrait dire ; c’est le jeu ! Sauf que cet exemple sert d’indicateur vis-à-vis du monde. En Thaïlande, en 2024, le salaire minimum a été porté à 10 € par jour ! Oui, cette prime, ici, représente 190 jours de travail chez eux ! D’ailleurs, la question traditionnelle porte un regard mondial nouveau « mais où et qui sont les riches » ?

Il convient désormais de s’interroger sur ces pratiques, naturelles jusque-là, vis-à-vis des défis qui se présentent au monde et à l’Europe en particulier.

L’urgence climatique accélère : une taxe de solidarité mondiale de 5% du PIB

D’abord, l’urgence climatique dont on perçoit tous les jours l’impact.

Des canicules de plus en plus fréquentes, la sécheresse, les inondations, les incendies, l’érosion du littoral ; même les océans et la biodiversité sont bousculés. La planète est touchée quasiment dans son ensemble.  Canada, Brésil, États-Unis, Inde, Afghanistan, …. l’Europe également, bien qu’aujourd’hui le défi semble moins puissant.

Le monde n’est pas resté oisif, des plans climatiques sont menés mais les besoins sont immenses et encore probablement mal évalués.

Un double exemple: en France, un plan d’économie budgétaire de 10 milliards est lancé pour réduire les déficits publics. Le premier poste touché concerne…le climat, qui pèse 20% du plan !

Autre exemple: pour réduire sa production de CO2, la France va investir 64 milliards d’euros par an de 2024 à 2030. Avec l’objectif de réduire de 45% la production de CO2. Faisons l’hypothèse que l’objectif soit atteint, on constatera alors que l’effort français représente 2% de la production mondiale de CO2 !

Il s’en suit un chemin inexorable. Tous les pays doivent, ensemble, contribuer à réduire leurs émissions, sans référence aux seuls pays les plus pollueurs. D’autant qu’on découvre que 48 pays en développement n’arrivent même pas à payer les intérêts de leurs dettes ! Leur demander, en plus, d’agir pour le climat, est une mission impossible. La création d’une taxe de solidarité mondiale, par pays, devient indispensable : au minimum 5% du PIB.

Le basculement économique de l’Occident vers l’Indopacifique : Christophe Colomb, le retour

Un deuxième défi également déjà présent ! Le basculement économique de l’Occident vers l’Indopacifique. L’Occident, et l’Europe notamment, « sûr de lui-même et dominateur », depuis Christophe Colomb, a acquis une force mondiale de premier plan, aussi bien économique que sociologique et politique, qui a conduit à une myopie généralisée. Le commerce « entre soi » des pays occidentaux et notamment européens permettait de dormir sur ses deux oreilles. Quelques alertes…  mais chacun de regarder les pays « à bas coûts » avec condescendance  comme un épiphénomène s’appuyant sur leur propre qualité historique.

Soudain deux signaux forts apparaissent : la Chine et l’Inde atteignent la lune, montrant un développement scientifique beaucoup plus élevé qu’imaginé. Et puis voilà les véhicules électriques, les outils relatifs à l’énergie renouvelable à des prix incomparables.

La mise en place de taxes, comme aux États-Unis, sur les véhicules électriques, multipliées par 4, ou encore en Europe pour taxer « le fast fashion », comme pour se « replier sur soi » apparaît être une solution dérisoire. Mais l’imbrication des économies mondiales ne se limite pas à quelques produits taxés, avec le risque d’une taxation réciproque.

Cette pratique, justifiée parfois pour la protection de certaines industries, interdit dans le même temps l’accès à ces nouveaux produits pour un grand nombre de consommateurs. Le pouvoir d’achat semble oublié.

Ainsi, les taxes pour justifier la réindustrialisation apparaissent comme un « coup de pied de l’âne ». « Revenez, créez de nouvelles usines pour les véhicules électriques… il y a besoin de moins de main d‘œuvre » !!

Le pouvoir d’achat est négligé: et de découvrir le développement des ventes à « petits prix » à distance, et maintenant l’accroissement formidable de la restauration rapide, à faible prix également ! Oui le pouvoir d’achat !

Signe de cette alerte forte, les entreprises du secteur du luxe mettent déjà les pieds dans ces pays auparavant éloignés, notamment en Chine et l’Inde,  là où se trouvent les nouveaux consommateurs!

Les autres secteurs industriels n’ont pas encore les mêmes « riches clients », mais les accords avec la Chine, et bientôt l’Inde, vont s’avérer indispensables; les nouveaux consommateurs sont là. Le « modèle social » européen va se trouver touché; il ne le sait pas et ne s’y prépare pas.

L’éducation illustre cette situation. Le concept de performance est totalement oublié pour être remplacé par la « valeur moralisatrice » de l’égalité. Les récents débats sur l’enseignement public et l’enseignement privé l’illustrent parfaitement. A aucun moment, les résultats ne sont mis en avant. L’opposition à la tentative récente de créer des « groupes de niveaux », de caricaturer ; « on trie les déchets, pas les élèves » !

Pourtant, depuis 20 ans déjà, le fameux classement PISA pour les enfants de 15 ans de l’OCDE (81 pays) laisse entrevoir les « dégâts du progrès ». Il a fallu, pour s’alarmer, la dernière étude 2022, qui montre une chute sans précédent des résultats des élèves français en mathématiques, en écrit et en science, qui classe la France autour de 25ème et 26ème, alors que les pays asiatiques sont tous devant.

De plus, l’étude montre aussi un fort accroissement du nombre d’élèves en difficulté et, à l’inverse, une chute du nombre d’élèves les plus performants !!

Dans un moment où le travail à distance, la technologie, l’Intelligence Artificielle avancent à grands pas, il est à craindre qu’en quittant le bureau le soir, on transfère une activité en Asie, pour retrouver, comme en temps réel, le résultat en arrivant au bureau le matin ! Déjà certains métiers sont remis en cause, voire supprimés, notamment celui de traducteur.

L’arrivée du wokisme !

 

Le 3ème défi, si j’ose dire, est le wokisme.  Tout ce qui était « interdit d’interdire », depuis 1968 est balayé : un simple coup d’œil devient une agression. La sociologie du pays s’en trouve bouleversée et les conséquences en sont terribles. D’autant qu’on peut y intégrer la volonté d’abattre le « patriarcat blanc », sans jamais se poser la question du comment faire, mais aussi les violences conjugales ou encore le polyamour exacerbé par les réseaux sociaux, …

Certes la situation est largement plus complexe, mais un seul chiffre ; le taux de renouvellement des populations implique un taux de fécondité de 2,1 enfants par femme. Aujourd’hui en France, ce taux est de 1,68 et 1,3 en Italie par exemple ! N’en déplaise à beaucoup, l’immigration est là pour payer les retraites futures !

Le « chant du cygne » :   le retour de Christophe Colomb

Il est à craindre que l’ensemble de ces défis globaux ne soient perçus qu’au coup par coup.

Oui, les Jeux Olympiques pourraient être un renouveau et un « hymne à la joie » ; en réalité le courant ne passe pas et les indicateurs montrent plutôt un « chant du cygne ».

Dans le même temps, comme annonciateur d’une remise en cause du « modèle social », le durcissement soudain, en France, de « l’accès à l’indemnité chômage » ou encore au « paiement des arrêts maladie » dans certains cas, semblent annonciateurs d’une situation tout à fait nouvelle ; il est à craindre que ce ne soit le retour de Christophe Colomb.